INTERVIEW DAVID WEKSLER : CREATEUR DE MODE DURABLE DEFILE A LA FASHION WEEK TEL-AVIV

Pour sa 11e édition, la Kornit Fashion Week Tel-Aviv, organisée en mars 2022 par l'entrepreneur et producteur Moti Reif, a tracé la voie d’une mode durable et inclusive. David Weksler, jeune créateur israélien. Interveiw by Florence Julienne.

INTERVIEW DAVID WEKSLER CREATEUR DE MODE DURABLE DEFILE A LA FASHION WEEK TEL-AVIV 1NSTANT.FR

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Pour sa 11e édition, la Kornit Fashion Week Tel-Aviv, organisée en mars 2022 par l’entrepreneur et producteur Moti Reif, a tracé la voie d’une mode durable et inclusive. David Weksler, jeune créateur israélien, est emblématique de cette nouvelle génération de fashion designers engagés. Diplômé du département de design de mode de Shenkar (Tel-Aviv) et d’un master à Central Saint Martins, à Londres, il a présenté une collection assez trash, qui confronte l’idée glamour ou fun que certains se font encore de la mode et la réalité d’un monde où règnent les errements d’une surconsommation de masse. Une posture radicale qui met à l’honneur le recycling et lupcycling et sur laquelle nous avons eu envie d’en savoir plus.

Pourquoi vous être positionné sur un système de mode durable ?

Je ne voulais pas être Fashion Designer. Je trouvais cette industrie polluante, exploitante… mais je ne pouvais pas m’arrêter de créer. J’ai découvert la notion de sustainability à Saint Martins, en Master Mode. Plus j’apprenais, plus je me sentais en accord avec moi-même. Être un créateur de mode durable signifie que je ne pollue pas, que je ne fais de tort à personne. Juste du bien à moi-même et à ceux qui apprécient mes vêtements.

En quoi le titre de « créateur de mode durable » vous engage ?

Une grande partie de mon travail est liée à la sustainability (soutenabilité) et à l’upcycling. Les gens qui y sont sensibles me donnent des matières ou des vêtements qu’ils n’utilisent plus. Ils me les déposent au studio, situé à Jaffa (vieille ville de Tel-Aviv). Je les recycle. 90 % de la collection qui a défilé à la Fashion Week Tel-Aviv, en mars 2022, est composée d’habits recyclés, upcyclés : des vêtements de travail, des chemises, vestes, pantalons, boutons, denim, tenues de mariage ou de soirée… Je fais en sorte de n’avoir aucun déchet. Je puise dans les dead stocks, j’upcycle des accessoires, j’utilise le moindre détail qui pourrait me servir. Lorsqu’il me reste des chutes de matières, je crée un nouvel ornement. Je challenge la façon dont nous portons les vêtements et ce que nous en faisons pour offrir des solutions durables : porter un sweat-shirt en pantalon, découper ou écraser une ornementation pour lui offrir une nouvelle vie…

L’upcycling est-il compatible avec la notion de marché ?

En tant que jeune créateur, je n’ai pas eu à fabriquer d’énormes quantités. Pour la graduation, je me restreins au M et au L qui sont les tailles les plus courantes. Je travaille avec 2 personnes pour la couture et 2 pour les impressions textiles. Je commercialise online et depuis mon studio. J’organise de nombreux évènements commerciaux, comme le Jaffa bal. Mais mon work process s’adapte à une logique de volumes. Mes collections peuvent être manufacturées dans de plus grandes quantités, pour ne pas cantonner la notion d’upcycling à une dimension Couture. Avec un pantalon et une chemise, je réalise une veste. Avec deux pantalons, je couds une robe longue. Ce sont des idées simples qui s’adaptent au développement d’une marque de prêt-à-porter.

L’upcycling est-il une solution d’avenir pour la mode ?

J’ai une vision noire et post-apocalyptique du futur. La scénographie de mon défilé est un univers parallèle où rien n’existe plus qu’un désert empli de déchets. Exactement comme ces images que l’on voit du Chili où les Occidentaux rejettent leurs vêtements usagés et inutilisables. Toute mon histoire tourne autour du désastre climatique et de tribus nomades qui tenteraient de survivre à cette difficile réalité.

Est-ce votre vision pessimiste qui a influencé le thème « I got issues » (j’ai des problèmes) de votre défilé à Tel-Aviv ?

Je ne suis pas pessimiste, je suis réaliste (rires). Mon inspiration est une réminiscence nostalgique des années 2000 quand j’étais adolescent. Au collège, j’étais en prise avec des démons intérieurs et je jouais aux jeux vidéo d’Heroic Fantasy, comme Donjons & Dragons. En quelque sorte, c’est une « Gamer Rehab collection ».

Où puisez-vous votre inspiration ?

Je suis influencé par les moments moches de la vie, par la banalité du quotidien, comme un boxer qui sort d’un pantalon par erreur ou un bouton qui manque à une chemise. J’aime les vêtements qui semblent être en ruines, usés, tachés… Certaines personnes peuvent trouver ça trash ou paresseux, j’aimerais leur dire : « si vous avez un vêtement dont vous ne vous servez pas, au lieu de le jeter, réfléchissez à ce que vous pourriez en faire ».

Quels messages sociétaux transmettez-vous à travers l’upcycling ?

En tant qu’homosexuel, j’ai toujours surfé sur la gender identity. De fait, ma mode est inclusive et genderless. Je fais défiler mes amis, aux physiques et morphologies divers. Je veux que ma mère puisse s’identifier aux mannequins. En tant qu’Israélien, je m’oppose aux territoires occupés. C’est un sujet délicat et je ne veux pas m’afficher comme un protestataire avec une pancarte « free Palestine » qui aurait pour effet de provoquer des réactions négatives. J’upcycle des uniformes de l’armée israélienne. Ils sont chargés d’histoire : ils ont servi pour faire la guerre, ont contribué à la violence ou sont juste empreints de la sueur d’une hyper masculinité toxique. Je les utilise dans un autre contexte de beauté, de joie… Je veux la paix pour tout le monde. J’envoie ces messages à travers mes créations.

Faites-vous des exceptions au tout recyclage ?

La plupart des mannequins portent un masque en bord cotes, qui est le seul élément neuf que j’utilise. J’ai commencé à en faire quand la Covid est apparue, il y a deux ans. Dans cette apocalypse que j’imagine, avec la pollution et les virus, les gens vont vouloir/devoir porter des masques. Dans un monde où il faudra se battre pour rester en vie, ces accessoires seront une barrière pour intimider l’ennemi. Dans cette société de surveillance qui nous attend, ils nous permettront de rester anonymes. Mais tous sont coupés au-dessus de la tête, laissant apparaître les cheveux. La chevelure signe une personne. Nos amis ou notre famille sauront donc toujours nous reconnaître.

Propos recueillis par Florence Julienne.

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