L’1NSTANT ARTISAN

Le feu, du temps et une pince tenue par des mains expertes transforment d’humbles baguettes de pâte de verre en bijoux lumineux chez Gripoix, situé au 14 place des Victoires. Pionnière de la technique du verre coulé à la fin des années 1860, Augustine Gripoix s’est rapidement construit une clientèle de dames de la bonne société et de têtes couronnées cherchant à accessoiriser leurs tenues – voire à faire fabriquer des répliques de leurs précieuses parures joaillères pour voyager le cœur léger. Elle collabore même avec le père de la haute couture, Charles Frederick Worth et plus tard avec Paul Poiret, créant des pièces assorties à leurs collections. Dans les années 20, Gripoix est le fournisseur attitré de la génération de couturières en vogue, comme Jeanne Lanvin et surtout Gabrielle Chanel, qui vient lui commander des répliques des bijoux byzantins qu’elle affectionne. Le célèbre camélia de la rue Cambon sera immortalisé en pâte de verre. Ses créations, non signées, s’échangent à prix d’or dans les salles de vente.

Aujourd’hui, Marie Keslassy, directrice artistique de Gripoix, éprise de passion pour ces savoir-faire et avec une vision claire du bijou de couture en pâte de verre, redonne ses lettres de noblesse à Gripoix en inaugurant une nouvelle ère de la maison parisienne. Au travers des collections qui sortent de l’atelier Gripoix, situé au-dessus de la boutique (à deux pas de la rue Tiquetonne où s’était installée Augustine), elle et les artisans de la maison perpétuent le savoir-faire de la pâte de verre coulée, sertie et émaillée en créations aux allures contemporaines et intemporelles.

L’1nstant coup de foudre.

Je suis tombée sous le charme le jour où j’ai visité les ateliers Gripoix et que j’ai vu la phase de l’émaillage. Ce n’est pas la bijouterie qui m’a émue à ce moment précis, c’est vraiment le travail d’une baguette de verre. A partir de ce moment-là, je me suis battue et battue pour soigner les collections, les construire.

L’1nstant pause.

Après 10 ans passés à suivre le rythme effréné des collections prêt-à-porter et haute couture, j’ai décidé d’en faire abstraction, pour retourner aux fondamentaux. J’ai décidé de faire des recherches tout à fait personnelles sur tous les détails que je peux trouver dans des archives aujourd’hui tombées dans domaine public. Les thèmes des bijoux sont développés à partir de ces détails, pour les rendre plus contemporains. L’ADN de Gripoix, c’est la pâte de verre. C’est un challenge quand on a un cahier des charges assez restreint. Ces contraintes m’amènent à faire des collections plus concises mais qui assoient définitivement la marque aujourd’hui.

L’1nstant “name dropping”.

J’ai travaillé deux saisons avec Tom Ford, trois saisons avec Guerlain pour habiller des cols de flacons – Le Muguet, L’Heure Bleue et Shalimar. Et Gripoix continue à travailler pour cette belle maison de couture qui renaît de ses cendres qu’est Schiaparelli.

l’1nstant couture.

Deux moments me viennent à l’esprit : Chez Roger Vivier, où nous avons fait des fermoirs de sacs sublimes avec Bruno Frisoni, et Schiaparelli en 2013-2014, où les créations étaient visuellement spectaculaires. Grâce à ces moments, je me suis dis « que j’avais fait une partie du chemin », car interpréter le brief d’un directeur artistique, c’est magique parce qu’il y a une synergie entre deux artistes.

l’1nstant Parisienne.

Aujourd’hui, la mode n’est plus aux plastrons dont les dames ornaient leurs tenues haute couture. J’essaie donc de rendre le bijou plus facile à vivre dans son incarnation contemporaine. Je réédite des pièces assez jolies, comme ces grappes de groseilles, qui sont faciles à porter au quotidien. La Parisienne aime le sautoir, la broche qu’elle met encore sur le revers de son blazer, des choses plus classiques.

L’1nstant international.

Au contraire, l’américaine aime les plastrons et les grosses pièces, parce qu’elle a cette culture du « costume jewellery », tandis que la chinoise s’achète un peu du rêve de l’histoire française. D’une part, elle achète des petites pièces délicates à porter et d’un autre côté les pièces plus importantes pour sa collection.

L’1nstant de collection.

J’ai connu Gripoix en faisant les ventes aux enchères à Drouot. Le nom revenait souvent et j’avais acheté quelques jolies pièces Gripoix en pâte de verre qui n’étaient pas signées. Aujourd’hui, vous avez un poinçon. A l’époque, Gripoix n’était pas une marque mais plutôt un fournisseur de maison de couture. Aujourd’hui j’ai toujours quelques pièces qui me semblent intéressantes, et les fais revivre avec mon interprétation. Mais je ne ressens plus le besoin de les collectionner comme avant, même si elles ont été un point d’ancrage pour moi.

L’1nstant Gripoix.

L’identité de Gripoix est « je réinterprète plutôt que réédite, parce que je trouve qu’il faut laisser place à la vie contemporaine ». Se nourrir du passé peut donner une base, mais il est plus intéressant de réinterpréter pour être de son temps. C’est une marque que je souhaite faire vivre, et elle ne peut vivre et se développer aujourd’hui qu’en reprenant les codes de mes contemporains. 

  • Interview by Lily Templeton
  • Vidéo by Dominique Silberstein
  • Produced by 1nstant.fr
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